La démocratie aux mille visages
La démocratie est le régime politique où la souveraineté ressortit au peuple. Encore faut-il que le pays qui en bénéficie soit organisé pour la permettre avec des règles qui en encadrent l'exercice et en assurent la continuité. Notamment, comme le peuple est bien trop nombreux et divers pour exercer directement son pouvoir, il s'appuie sur des représentants qu'il choisit pour cela, selon un processus et avec un mandat propres à chacun.
Les peuples en eux-mêmes sont très différents les uns des autres et les facteurs selon lesquels chacun d'eux construit et vit sa démocratie, quand il en a une, lui est aussi propre : ce sont notamment son histoire, sa culture, sa religion et la place qu'elle y tient, son passé et le type de société qu'il a déjà vécus, les relations qu'il a entretenues avec ses autorités. Quand les démocraties existent, et elles sont nombreuses heureusement, elles ne sont donc pas les mêmes d'un pays à l'autre.
Par conséquent, il n'existe aucun modèle démocratique type que l'on puisse préconiser à ceux qui y aspirent. Il est simplement des principes de base intangibles, peu nombreux d'ailleurs, qui font que le régime politique d'un pays est une démocratie ou non, ou peut se targuer d'en être une, que l'on peut résumer en quelques points essentiels :
1 — le pays appartient au peuple et lui seul est légitime pour y exercer sa souveraineté,
2 — le pays n'appartient jamais à ses dirigeants et ceux-ci n'ont aucune légitimité à en revendiquer la possession ou une quelconque exclusivité de pouvoir ; seul le mandat que le peuple leur attribue assure leur légitimité à gouverner le pays en son nom,
3 — en dehors de la juste rémunération que le peuple octroie à ses dirigeants en échange du service qu'ils rendent, tous les biens mis à leur disposition dans l'exercice de leur gouvernance appartiennent au peuple et ils ne peuvent en aucun cas les considérer comme leurs,
4 — selon des règles à définir, propres à chaque démocratie, et dans leur strict respect, c'est au peuple seul que revient la décision du choix de ses dirigeants ainsi que celle de s'en séparer et de révoquer leur mandat,
5 – puisque c'est dans son ensemble qu'un peuple est souverain, les règles qui régissent l'exercice de la démocratie doivent respecter sa pluralité dans toutes ses dimensions et tous ses aspects : âge, sexe, origine, religion, culture…, à condition que l'expression de cette pluralité ne nuise pas à leur application.
De l'énoncé de ces principes, il apparaît qu'une démocratie ne peut être et vivre que si un consensus existe, à l'intérieur du peuple et entre lui et ses dirigeants pour se conformer à ses règles. Néanmoins, le peuple doit détenir les moyens de les faire respecter, par lui-même et par ses dirigeants ; car, même si le régime politique d'un pays répond à ces principes et si la volonté du peuple est de s'y tenir, le chemin d'une démocratie sera jalonné régulièrement de risques de remises en cause qui émaneront soit de lui soit des dirigeants.
Si l'on se réfère maintenant aux trois mots-clés de notre république, dite démocratique : liberté, égalité et fraternité, aucun d'eux n'est explicite dans la notion de démocratie.
Le fait que le peuple soit souverain et décide par lui-même du sort de son pays et s'efforce d'en maîtriser le cours, implique-t-il pour autant la liberté ? et s'agit-il alors de celle du peuple dans son ensemble ou celle de chaque individu dans la communauté ? Dans la mesure où les règles de la démocratie sont à respecter par tous, peuvent-elles aller jusqu'à contraindre l'individu au nom de l'intérêt collectif ? Jusqu'où la liberté individuelle ne risque-t-elle pas de remettre en cause l'équilibre de la démocratie ? Qu'est-ce alors que la liberté dans une démocratie ?
Par leur culture et leur passé, certains peuples sont constitués en castes avec des privilèges ou des servitudes qui leur sont diversement attachés et ils y ont trouvé leur équilibre, même si, pour nous occidentaux, la situation engendre des inégalités flagrantes. Pour autant, le peuple ne reste-t-il pas souverain ? Et tous ses membres ne sont-ils pas égaux dans l'expression de leur choix de société ? Et si égalité il y a, s'applique-t-elle à l'ensemble ou bien par castes ? Alors, qu'est-ce que l'égalité dans une démocratie ?
Quant à la fraternité, peut-être est-ce elle qui se rattache le mieux à l'idée de démocratie, car le fait qu'un peuple soit souverain n'implique-t-il pas une responsabilité collective qui peut être un puissant facteur de cohésion et de solidarité entre tous ses membres ?
Lorsqu'un peuple veut la démocratie, ce qu'elle est pour lui est le reflet de ce qu'il est. Aucun modèle ne lui est applicable et celui qu'il développe lui est totalement propre ; nul ne peut lui en imposer un. Et s'il doit mener un combat pour y parvenir, ce combat ne peut être que le sien, car nul ne devra lui voler sa conquête. Sa démocratie est la sienne !
Michel BOREL, Scientifique littéraire et prospectiviste
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